30/09 Introductions diverses

(9) INTRODUCTION AUX ÈPÎTRES CATHOLIQUES

                                                               

               Les sept épîtres du N T qui ne sont pas de saint Paul ont été de ce fait groupées très tôt en une même collection, malgré leurs origines diverses: une de saint Jacques, une de saint Jude, deux de saint Pierre, trois de saint Jean. Leur titre très ancien de « Catholiques » vient sans doute de ce que la plupart d’entre elles ne sont pas adressées à des communautés ou personnes particulières, mais visent plutôt les chrétiens en général.

            L’épître de Jacques ne fut reçue que progressivement dans l’Église. Si sa canonicité ne semble pas avoir posé de problème en Égypte, où Origène la cite comme Écriture inspirée, Eusèbe de Césarée, au début du quatrième siècle, reconnaît qu’elle est encore contestée par certains. Dans les Églises de langue syriaque, ce n’est qu’au cours du quatrième siècle qu’elle fût introduite dans le canon du N T. En Afrique, elle est inconnue de Tertullien, de Cyprien, et le catalogue de Mommsen (vers 360) ne le contient pas encore. A Rome, elle ne figure pas dans le canon de Muratori, attribué à S Hippolyte (vers 200), et il est très douteux qu’elle ai été citée par S Clément de Rome et par l’auteur du Pasteur d’Hermas (cf infra). Elle ne s’impose donc dans l’ensemble des Églises d’orient et d’Occident que vers la fin du quatrième siècle.

            Quand les Églises acceptent la canonicité de cette épître, elles identifient communément son auteur avec ce Jacques « frère du Seigneur », Mt 13 55p cf 12 46+, dont le rôle si marquant dans la première communauté de Jérusalem, Ac 12 17 etc., fut couronné par le martyre de la main des Juifs vers l’an 62 (Josèphe, Hégésippe). Ce personnage est évidemment distinct de l’apôtre Jacques, fils de zébédée, Mt 10 2p, qu’Hérode fit périr en 44, Ac 12 2, mais on pourrait songer à l’identifier avec l’autre apôtre de ce nom, fils d’Alphée, Mt 10 3p. Déjà les anciens hésitaient sur ce point, et les modernes en discutent encore, tout en penchant vers la négative. L’expression de Paul en Ga 1 19 a été interprétée dans les deux sens.

            Au reste, le vrai problème se situe ailleurs, et plus profondément. Il porte sur l’attribution même de l’épître de Jacques, « frère du Seigneur ». Cette attribution, en effet, ne va pas sans difficultés. Si elle avait été réellement composée par cette personnalité de premier plan, on comprendrait mal la difficulté qu’elle a eu à s’imposer dans l’Église comme Écriture canonique. Par ailleurs, elle a été écrite directement en grec, avec une élégance, une richesse de vocabulaire, un sens de la rhétorique (diatribé) assez surprenant chez un Galiléen; sans doute, Jacques aurait pu se faire aider par un disciple de bonne culture hellénique, mais c’est là une conjecture impossible à prouver. Enfin, et surtout, l’épître présente une affinité très marquée avec des écrits dont la composition se situe à la fin du premier siècle ou au début du second, spécialement la première lettre de Clément de Rome et le Pasteur d’Hermas. On a souvent affirmé que ces deux ouvrages avaient largement utilisé l’épître de Jacques; on reconnaît de plus en plus aujourd’hui que ces affinités s’expliquent par l’utilisation de sources communes et par le fait que les auteurs de ces différents ouvrages avaient à faire face à des difficultés analogues. En conséquence, de nombreux auteurs placent aujourd’hui la composition de l’épître de Jacques vers la fin du premier siècle, voir le début du second. Le caractère archaïque de sa christologie s’expliquerait, non par l’antiquité de sa rédaction, mais parce qu’elle émanerait de milieux judéo-chrétiens, héritiers de la pensée de Jacques, le frère du Seigneur, et fermés aux développements de la théologie chrétienne primitive.

            Si l’on tient cependant à maintenir l’authenticité de l’épître, on devra en placer la composition avant 62, date de la mort de Jacques. Deux hypothèses sont alors possibles, selon la position que l’on accepte concernant les rapports entre Jc et Ga/Rm au sujet du problème de la justification par la foi (cf infra). Pour certains auteurs, c’est jacques qui engage une polémique contre Paul, ou plutôt contre des chrétiens qui déformaient l’enseignement de Paul; il aurait alors écrit son épître peu de temps avant sa mort. Pour d’autres, de moins en moins nombreux, c’est Paul qui aurait voulu combattre les idées de Jacques, dont l’épître aurait alors été composée vers les années 45-50, ce qui expliquerait le caractère archaïque de sa christologie. Ce que nous avons dit plus haut laisse entendre qu’une date si ancienne est peu vraisemblable.

            Quoi qu’il en soit de son origine, cet écrit veut atteindre les « Douze tribus de la Diaspora », 1 1, c’est-à-dire sans doute les chrétiens d’origine juive dispersés dans le monde gréco-romain, surtout dans les régions avoisinant la palestine telles que la Syrie ou l’égypte. Que ces destinataires soient des convertis du Judaïsme, cela est confirmé par le corps de la lettre. L’usage constant que l’auteur y fait de la Bible suppose qu’elle leur est familière, d’autant plus qu’il procède moins par mode d’argumentation à partir de citations explicites (comme Paul par exemple, ou l’auteur de l’épître aux Hébreux) que par réminiscences spontanées et allusions partout sous-jacentes. Il s’inspire particulièrement de la littérature sapientielle pour en tirer des leçons de morale pratique. Mais il dépend aussi profondément des enseignements de l’Évangile, et son écrit n’est pas purement juif comme on l’a parfois prétendu. On y retrouve sans cesse au contraire la pensée et les expressions préférées de Jésus, et cette fois encore, moins par mode de citation expresses tirées d’une tradition écrite que par utilisation d’une tradition orale vivante. En somme, c’est un sage judéo-chrétien qui repense de façon originale les maximes de la sagesse juive en fonction de l’accomplissement qu’elles ont trouvé dans la bouche du Maître.

            Son écrit ne se plie pas sans peine aux conventions du style épistolaire. Il représente plutôt une homélie, un spécimen de cette catéchèse qui devait être en usage dans les assemblées judéo-chrétiennes de son temps. On y trouve une série d’exhortations morales qui se suivent de façon assez lâche, tantôts par groupement de sentences sur un même sujet, tantôts par assonances verbales. Ce sont des avis sur le support des épreuves, 1 1-12; 5 7-11, l’origine de la tentation, 1 13-18, la maîtrise de la langue, 1 26; 3 1-12, l’importance de la bonne entente et de la miséricorde, 2, 8-13; 3 13 etc, l’efficacité de la prière, 1 5-8 etc. Le sacrement de l’Extrême-onction a son lieu théologique en 5 14s (concile de Trente).

            Deux thèmes principaux commandent toute cette parénèse. L’un exalte les pauvres et avertit sévèrement les riches, 1 9-11; 1 27 etc ce souci des humbles, les favoris de Dieu, se rattache à une ancienne tradition biblique et tout spécialement aux Béatitudes de l’Évangile, Mt 5 3+. L’autre insiste sur l’accomplissement des bonnes œuvres et met en garde contre une foi stérile, 1 22-27; 2 10-26. On trouve même sur ce dernier point une discussion polémique, 2 14-26, que beaucoup d’interprètes estiment dirigée contre Paul. Il faut en effet reconnaître des contacts assez frappants entre Jc et Ga/Rm, notamment dans l’interprétation différente de mêmes textes bibliques sur Abraham. Et il n’est pas impossible que Jacques ait voulu s’opposer, sinon à Paul lui-même, du moins à certains chrétiens qui tiraient de sa doctrine des conséquences néfastes. Il faut cependant maintenir deux choses: d’abord que par-delà une opposition superficielle commandée par des situations différentes, Paul et Jacques sont d’accord sur le fond des choses, cf 2 14+; ensuite que ce thème de la foi et des œuvres, si naturellement commandé par les données de la religion juive, a bien pu être un sujet traditionnel de discussion qu’ils auront traité de façon indépendante.

            Jude qui se dit « frère de Jacques », v 1, semble se donner lui aussi pour l’un « des frères du Seigneur », Mt 13 55p. Rien n’oblige à l’identifier avec l’apôtre du même nom; aussi bien lui-même se distingue-t-il du groupe apostolique, v 17. Mais rien non plus n’impose d’imaginer un pseudonyme, que la médiocre importance du personnage emprunté justifierait d’ailleurs assez mal.

            De fait, cet épître était reçue dès l’an 200 par la plupart des Églises comme Écriture canonique. L’usage qu’elle fait des sources apocryphes (Hénok aux vv, 7, 14s; Assomption de Moïse au v 9) a bien suscité quelques doutes dès l’antiquité, mais il n’a pas de quoi troubler, car ce recours légitime à des écrits Juifs alors répandus n’équivaut nullement à leur reconnaître un caractère inspiré.

            Tout le propos de Jude est de stigmatiser les mauvais docteurs qui mettent en périls la foi chrétienne. Il les menace d’un châtiment divin illustré par des précédents de la tradition juive, vv 5-7, et la description qu’il donne de leurs errements parait aussi influencée par ces souvenirs du passé, v 11. Elle demeure d’ailleurs assez vague et n’autorise certainement pas à déceler le gnosticisme du deuxième siècle. L’impiété et la licence morale qu’il leur reproche, particulièrement leurs blasphèmes contre le Seigneur Christ et les Anges, vv 4, 8-10, ont pu se rencontrer au sein du christianisme dès le premier siècle sous l’influence de ces tendances syncrétistes qu’attaquent l’épître aux Colossiens, les Pastorales et l’Apocalypse.

            Certains traits invitent toutefois à ne pas remonter trop haut dans le premier siècle. Les prédications des apôtres sont rejetées dans le passé, vv 17s. La foi est conçue comme une donnée objective « transmis une fois pour toutes », v 3. Les épîtres de Paul paraissent utilisées. Il est vrai que la deuxième épître de Pierre utilise à son tour celle de Jude, mais nous dirons qu’elle peut être postérieure à la mort de saint Pierre. En définitive on songera aux derniers temps de l’âge apostolique.

            Deux épîtres catholiques se réclament de saint Pierre.  La première, qui porte dans son adresse le nom du prince des apôtres, 1 1, a été reçue sans contestation dès le début de l’Église: utilisée probablement par Clément de Rome et certainement par Polycarpe, elle est attribuée explicitement à saint Pierre à partir d’Irénée. L’apôtre écrit de Rome (Babylone, 5 13), où il se trouve avec Marc qu’il appelle « son fils ». Bien que nous soyons fort peu renseignés sur la fin de sa vie, une tradition très assurée le fait en effet venir dans la capitale de l’empire où il mourut martyr sous Néron (64 ou 67?). il s’adresse aux chrétiens « de la Diaspora » en précisant les noms des cinq provinces, 1 1, qui représentent pratiquement l’ensemble de l’Asie Mineure. Ce qu’il dit de leur passé, 1 14, 18; 2 9s; 4 3, suggère qu’ils sont convertis du paganisme, encore que la présence parmi eux de judéo-chrétiens ne soit pas exclue. C’est pourquoi il leur écrit en grec; et si ce grec, simple mais correct et harmonieux, parait de trop bonne qualité pour le pêcheur galiléen, nous connaissons le nom du disciple secrétaire qui a pu l’assister dans sa rédaction: Silvain, 5 12, que l’on identifie communément avec l’ancien compagnon de saint Paul, Ac 15 22+.

            Le propos de cette épître est de soutenir la foi de ses destinataires au milieu des épreuves qui les assaillent. On a voulu voir là des persécutions officielles telles celles de Domitien ou même de Trajan, ce qui supposerait une époque bien postérieure à saint Pierre. Mais les allusions de l’épître n’exigent rien de tel. Il s’agit plutôt de sévices privés, injures et calomnies que la pureté de vie des convertis leur attire de la part de ceux dont ils ont quitté les dérèglements, 2 12; 3 16; 4 4, 12-16.

            Une autre difficulté a été soulevée contre l’authenticité de l’épître: l’usage considérable qu’elle semble faire d’autres écrits du NT, notamment de Jc, Rm et Ep, et qui surprend d’autant plus que l’Évangile parait peu utilisé. Cependant les réminiscences évangéliques sont nombreuses, tout en restant discrètes; et si elles étaient plus soulignées, on ne manquerait pas de dire qu’un pseudonyme a cherché ainsi à se faire passer pour Pierre. Quant aux contacts avec Jacques et Paul, ils ne doivent pas être exagérés. Aucun des thèmes spécifiquement pauliniens (valeur transitoire de la Loi juive, Corps du Christ, etc.) ne parait dans l’épître. Et beaucoup de ceux qu’on traite également de « pauliniens » parce qu’ils nous sont connus surtout par les épîtres de Paul, ne sont en fait que le bien commun de la première théologie chrétienne (valeur rédemptrice de la mort du Christ, foi et baptême, etc.). Les travaux de la critique reconnaissent de plus en plus des formulaires de catéchèses primitives, des florilèges de textes de l’AT, qui ont pu être utilisés parallèlement par les divers écrits en cause, sans qu’il y ai entre eux de dépendance directe. Que s’il demeure néanmoins un certain nombre de cas précis où 1 Pierre paraît en effet s’inspirer de Rm ou d’Ep, cela peut être admis sans rejeter l’authenticité: saint Pierre ne possédait pas l’envergure théologique de saint Paul, et il a bien pu recourir aux écrits de ce dernier, surtout quand il s’adressait comme ici à des cercles de mouvance paulinienne. On, n’oubliera pas non plus que son secrétaire Silvain était un disciple des deux apôtres. Enfin il n’est que juste de signaler, à côté de ces affinités pauliniennes, les rapprochements que certains interprètes ont cru découvrir entre 1 P et d’autres écrits d’ambiance pétrinienne tels que le second Évangile ou les discours de Pierre dans les Actes.

            Le lettre est normalement antérieure à la mort de Pierre, 64 ou 67, encore que Silvain ait pu ne la mettre au point que quelques années plus tard, selon ses directives et sous son autorité. Ceci serait même probable, s’il était vérifié que l’épître est composite et combine des fragments divers, parmi lesquels une homélie d’origine baptismale, 1 13; 4 11. Mais de tels discernements ne peuvent dépasser le niveau de la conjecture.

            De portée essentiellement pratique, cet écrit n’en est pas moins d’une belle richesse doctrinale. O, y trouve un admirable résumé de la théologie chrétienne commune à l’époque apostolique, d’une chaleur émouvante dans sa simplicité. Une des idées maîtresse est celle du support courageux des épreuves, avec le Christ pour modèle, 2 21-25; 3 18; 4 1. Comme lui les chrétiens doivent souffrir avec patience, heureux si leurs tribulations viennent de leur foi et de la sainte conduite; n’opposant au mal que le bien, la charité, l’obéissance aux pouvoirs publics, 2 13-17, et la douceur à l’égard de tous, 3 8-17; 4 7 11, 19. Un passage difficile a été diversement compris par les interprètes, 3 19s; cf 4 6, selon qu’ils ont vu dans la « prédication » du Christ une annonce de salut ou de châtiment, et qu’ils ont reconnu les « esprits en prison » tantôt les impies morts au temps du Déluge, tantôt les anges déchus, de la tradition biblique et apocalyptique. De toute façon cette démarche du Seigneur est bien placée au moment de sa mort, et l’on a là l’un des principaux lieux théologiques du dogme de la Descente aux Enfers.

            Il n’est pas douteux que la deuxième épître se donne comme étant aussi de saint Pierre. Non seulement l’apôtre se nomme dans l’adresse, mais encore il fait allusion à l’annonce de Jésus touchant sa mort, 1 14, et il dit avoir été témoin de la Transfiguration, 1 16-18. Enfin il fait allusion à une première lettre, qui doit être 1 P.

            S’il écrit une deuxième fois aux mêmes lecteurs, c’est dans un double dessein: les mettre en garde contre des faux docteurs, 2, et répondre à l’inquiétude causée par le retard de la Parousie, 3. Ces faux docteurs et cette inquiétude peuvent à la rigueur se concevoir dès la fin de la vie de saint Pierre. Mais il est d’autres considérations qui mettent en cause l’authenticité et suggèrent une date plus tardive. La langue présente avec celle de 1 P de notables différences. Tout le ch 2 est une reprise, libre mais manifeste, de l’épître de Jude. Le recueil des épîtres de Paul semble déjà formé, 3 15s. Le groupe apostolique est mis en parallèle avec le groupe prophétique et l’auteur parle comme s’il n’en faisait pas partie, 3 2. Ces difficultés autorisent des doutes qui ont apparu dès l’antiquité. Non seulement l’usage de l’épître n’est pas attesté avec certitude avant le troisième siècle, mais encore certains la rejetaient, ainsi qu’en témoigne Origène, Eusèbe et Jérôme. Aussi, bien des critiques modernes refusent-ils à leur tour de l’attribuer à saint Pierre, et il est difficile de leur donner tort. Mais si un disciple postérieur s’est couvert de l’autorité de Pierre, peut-être avait-il quelque droit de le faire, soit qu’il appartint aux cercles dépendant de l’apôtre, soit même qu’il utilisa une écrit provenant de lui, tout en l’adaptant et en le complétant à l’aide de Jude. Ce n’est pas là forcément faire un « faux », car les anciens avaient d’autres idées que nous sur la propriété littéraire et la légitimité du pseudonyme.

            Il suffit d’ailleurs pour notre foi que l’épître ait été fermement reçue par l’Église comme canonique, et présente donc un héritage authentique de l’époque apostolique. Sa doctrine est garantie de ce fait, et on y relèvera particulièrement: la vocation chrétienne de « participation à la divine nature », 1 4, la définition du caractère inspiré des écritures, 1 20s, et l’assurance de la Parousie à venir, en dépit du retard et de l’incertitude de son jour, et l’annonce, après la destruction du monde par le feu, d’un monde nouveau où habitera la justice, 3 3-13.

          Les trois épîtres de saint Jean ont été traitées à l’occasion du Quatrième Évangile.

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