AT-22 LE LIVRE DE JOB

CHAPITRES : 1—   6  7  8 

L’homme accablé connaît seul sa misère.

   7    1  N’est-ce pas un temps de service * qu’accomplit l’homme sur terre, n’y mène-t-il pas la vie d’un mercenaire ? * 2 Tel l’esclave soupirant après l’ombre ou l’ouvrier tendu vers son salaire, 3 j’ai en partage des mois de déception, à mon compte des nuits de souffrance. 4 Étendu sur ma couche, je me dis : « À quand le jour ? » Sitôt levé : « Quand serai-je au soir ! » * Et des pensées folles m’obsèdent jusqu’au crépuscule.

5 Vermine et croûtes terreuses couvrent ma chair, ma peau gerce et suppure. 6 Mes jours ont couru plus vite que la navette ; et disparu sans espoir. 7 Souviens-toi * que ma vie n’est qu’un souffle, que mes yeux ne reverront plus le bonheur ! 8 Désormais je serai invisible à tout regard, tes yeux seront sur moi et j’aurai disparu.

9 Comme la nuée se dissipe et passe, qui descend au shéol n’en remonte pas. * 10 II ne revient pas habiter sa maison et sa demeure ne le connaît plus. 11 Et c’est pourquoi je ne puis me taire, je parlerai dans l’angoisse de mon esprit, je me plaindrai dans l’amertume de mon âme 12 Suis-je la Mer, moi, ou le monstre marin, * pour poster une garde contre moi ?

13 Si je dis : « Mon lit me soulagera, ma couche atténuera ma plainte, » 14 alors tu m’effraies par des songes, tu m’épouvantes par des visions. 15 Ah ! Je voudrais être étranglé : * la mort plutôt que mes douleurs ! * 16 Je me consume, je ne vivrai pas toujours ; aussi, laisse-moi, mes jours ne sont qu’un souffle !

17 Qu’est-ce donc que l’homme pour en faire si grand cas, pour fixer sur lui ton attention, * 18 pour l’inspecter chaque matin, pour le scruter à tout instant ? 19 Cesseras-tu enfin de me regarder, pour me laisser le temps d’avaler ma salive ?

20 Si j’ai péché, que t’ai-je fait, à toi, * l’observateur attentif de l’homme ? Pourquoi m’as-tu pris pour cible, pourquoi te suis-je à charge * 21 Ne peux-tu tolérer mon offense, passer sur ma faute ? Car bientôt je serai couché dans la poussière, tu me chercheras et je ne serai plus. *

Job 7 (1-21)

  • – Verset 1. de service. Au sens de service militaire, cf. 14 14, à la fois lutte et corvée. Grec traduit « épreuve » ; Vulg. militia.
  • – Verset 1d’un mercenaire. Le mercenaire, payé à la journée, Dt 24 15 ; Mt 20 8, peine chaque jour pour les autres du matin au soir. De même l’esclave, Lv 25 39-40.
  • – Verset 4au soir. « le jour » grec; omis par hébr. – « quand serai-je au soir » m! yitten ‘ereb conj.; middad ‘ereb hébr; inintelligible.
  • – Verset 7. souviens-toi. Solidaire de l’humanité souffrante, résigne à mourir, Job ébauche une prière, pour demander à Dieu quelques instants de paix avant sa mort.
  • – Verset 9. remonte pas. Selon l’opinion courante, que l’auteur semble partager ici et 10 21; 14 7-22; 16 22, cf. 2 S 12 23; ps 88 11, etc., il est impossible de remonter du shéol. Cf. Nb 16 33+.
  • – Verset 12. monstre marin. Selon les cosmogonies babyloniennes, Tiamat (la Mer), après avoir contribué à donner naissance aux dieux, avait été vaincue et soumise par l’un d’eux. L’imagination populaire pu poétique, reprenant cette imagerie, attribuait à Yahvé cette victoire, antérieure à l’organisation du Chaos, et le voyait maintenir toujours en sujétion la Mer et les Monstres ses hôtes. Cf. : Ps 3 8 ; 9 13; 26 12; 40 25s; ps 65 8; 74 13-14; 77 17; 89 10-11; 93 3-4; 104 7,26; 107 29; 148 7; Is 27 1; 51 9.
  • – Verset 15. étranglé. La rencontre du « lassé de la vie » égyptien, Job n’envisage pas le suicide. C’est d’ailleurs un acte qui n’est rapporté qu’exceptionnellement dans l’AT, cf. 2 S 17 23+.
  • – Verset 15. mes douleurs. « mes douleurs » ‘aççebôtay conj.; « mes os » ‘açemôtay hébr.
  • – Verset 17. attention. L’auteur semble reprendre avec une ironie amère des expressions du ps 8. La sollicitude de Dieu pour l’homme devient ici une surveillance exigeante. L’auteur du ps 139 y trouvait un motif de confiance. Job, lui, se sent traité comme un ennemi par le Dieu qui l’observe. Se débattant contre une notion juridique de la religion et du péché, il cherche en tâtonnant le Dieu de miséricorde, v. 21.
  • – Verset 20à toi. Dieu ne peut être atteint par le péché.
  • – Verset 20. à charge. « te suis-je » grec; « me suis-je » hébr.
  • – Verset 21. serai plus. Ces derniers mots, inattendus, réintroduisent l’image d’un Dieu incliné mystérieusement vers l’homme.